Une victoire, point barre.

L’Argentine est championne du monde, cela ne fait aucun doute. Il n’est pas moins certain que l’équipe de France a fait, dans l’ensemble, une belle prestation dans un stade hostile, assurant jusqu’au bout le spectacle qu’est le football. Néanmoins, quelques malaises majeurs subsistent. Passons-les en revue.

Cette Coupe du monde n’aura pas été de tout repos. Tout d’abord, il y a cette détestable manie française de tout ramener sur un plan moral, comme si la France était exempte de tous reproches et, plus encore, des pires contradictions. Ceci a poussé certains à vouloir boycotter ce moment festif sous prétexte que les Qatari n’ont pas les mêmes mœurs que nous. Or, comme l’a très bien dit en substance Hugo Lloris (capitaine et gardien de l’équipe de France) à partir du moment où l’on débarque chez quelqu’un, on respecte ses coutumes. Ou bien on reste chez soi. Ceci est valable aussi bien en France qu’au Qatar. Je n’aimerais pas vivre là-bas, je n’ai aucune sympathie pour ces peuples et me méfie des parvenus de dernière minute (seule image que j’aie d’un pays vide de toute histoire), mais l’organisation de la Coupe du monde leur a été confiée et ils s’en sont très bien sortis. Il eût fallu, dès le départ, signifier aux Qatari qu’ils ne font partie de notre humanité et qu’ils ne méritent donc pas nos loisirs occidentaux. À partir du moment où le fric parle (et le foot n’est en définitive que du fric), il devient grotesque de demander à de simples joueurs de football de se muer en ambassadeurs des bons sentiments. Ils sont grassement payés pour jouer à la baballe, et ne demandent rien de plus.

Une autre frange de boycotteurs s’est attachée à dénoncer le non-sens écologique d’une telle manifestation, en un tel lieu à une telle période de l’année. Non qu’ils aient tort, mais une fois de plus, voilà des personnes que l’hypocrisie n’étouffe pas. Une fois n’est pas coutume, je vais m’en prendre à la civilisation « occidentale ». Entre parenthèses, il n’y a rien de plus stupide que cette expression : étant donné que la terre tourne, l’Occident du moment sera fatalement l’Orient dans douze heures. Bref, parlons plutôt de civilisation chrétienne, ou européenne (ce qui inclut les rejetons états-uniens). S’il est une seule chose que celle-ci peut se reprocher, s’il est un crime qui lui incombe depuis cinq siècles, c’est bien la mondialisation. Au nom de foutaises hétéroclites, l’argent et l’exotisme ont convolé dans la même détestation des frontières, au mépris de la nature, certes, mais également des cultures et de la décence locale (dont la France, entre autres, fait aujourd’hui les frais par retour de bâton). Autrement dit, s’en prendre aux milliardaires du Qatar qui organisent un tournoi de ballon en plein désert, alors qu’on a tout fait pour que ces personnes ne restent pas les braves chameliers qu’ils étaient encore il y a cinquante ans, c’est se moquer du monde. Nous avons fait du capitalisme le gouvernement du monde, et le football n’en est que l’une des nombreuses victimes.

Troisième salve de boycotteurs, et non des moindres : celles ou ceux qui détestent tellement le multiculturalisme qu’ils en viendraient, en cas de guerre entre la France et l’Argentine, à soutenir cette dernière au prétexte que ses soldats sont tous blancs de peau et se signent en regardant le ciel dès qu’ils réussissent un examen d’urine. Les pays latins, on le sait, on fait du football plus qu’une raison de vivre, une religion, et pour certains leur seul centre d’intérêt. J’ose espérer que la France, elle, sait conserver le sens des proportions et garder à l’esprit que ce n’est qu’un jeu de ballon. Je n’étais certes pas le dernier à encourager les Bleus – mes voisins s’en souviendront – mais passé ce moment, n’oublions pas d’avoir d’autres ambitions que du pain et des jeux. Par ailleurs, soutenir l’Argentine parce qu’il y a trop de joueurs Noirs dans l’équipe de France me paraît perdu d’avance. Kylian Mbappé a-t-il usurpé sa place ? Est-il oui ou non l’un des plus grands joueurs de l’histoire ? A-t-il manifesté de près ou de loin son hostilité à la France, à son histoire, à sa culture ? Il est champion du monde, vice-champion du monde et n’aura que 24 ans dans quelques jours. Cette fois-ci, on peut le dire : c’est une chance pour la France. Il y avait certes plus de Noirs que de Blancs dans cette équipe, mais il n’y avait aussi aucun Arabe. Benzema n’a finalement pas participé, et c’est tant mieux. Pour le coup, comme Anelka en son temps, il représentait l’anti-France.

À titre personnel, je félicite Didier Deschamps pour son travail et je félicite l’équipe de France, même si elle est passée, au début, à côté de sa finale. Je félicite également Messi, autrement plus valeureux qu’un Maradona et qui, n’ayant rien d’un athlète, a tout remporté dans sa carrière. Quant à l’arbitre polonais, il a su admirablement superviser le match de sa vie. La finale s’est terminée sur un frustrant et humiliant « ballon prisonnier », mais c’est malheureusement la loi du foot. Je déplore enfin que le football soit devenu l’ultime refuge de l’exaltation patriotique et des élans collectifs. Il n’y est pour rien et il faut au moins reconnaître à ce sport ce mérite, malgré les débordements animaliers qu’il suscite aussi dans certains quartiers. Ce besoin vital de délires communs échappe totalement à tous les peine-à-jouir mentionnés ci-dessus. Tant pis pour eux.

L’équipe de France a été, hier, capable du meilleur comme du pire. En cela, elle fera toujours parler d’elle et en cela, elle était parfaitement française. Ce n’est pas Napoléon qui me contredirait sur ce point. Rendez-vous dans quatre ans.