Alien : huitième merveille du cinéma ?
Je venais de voir le documentaire sur le tournage dantesque d’Apocalypse Now. Ceci m’a amené au roman de Conrad, Au cœur des ténèbres, qui a tant inspiré Coppola. L’ayant lu, et en disposant dans ma bibliothèque, je me suis retourné pour le consulter. Tout à côté, j’ai aperçu un autre livre de Conrad, un livre que je n’ai quant à lui encore jamais lu, Nostromo. Et de fil en aiguille, m’est venu à l’esprit le film Alien (Nostromo étant le nom du vaisseau spatial, et ce n’est pas un hasard). J’ai donc revu immédiatement le film Alien, le huitième passager, sorti sur nos écrans en 1979, c’est-à-dire la même année qu’Apocalypse Now.
J’ai déjà revu ce film il y a quelques années, mais je l’avais vu pour la toute première fois en 1986. J’avais alors douze ans, mes parents disposaient d’un vieux téléviseur Schneider cubique noir et blanc. Il devait passer à la télévision à l’occasion de la sortie au cinéma de la suite, Aliens, le retour. Aujourd’hui, paradoxalement, je ne voudrais pas que mon fils aîné, qui a douze ans à son tour, le voie. Il a certainement accès à des choses bien plus violentes, mais moins horrifiques.
Ce film de 1979 et il n’a pas pris une ride. Et une fois de plus, c’est dans le passé qu’il faut aller chercher l’intelligence et la subtilité que notre époque nous « aliène », sans mauvais jeu de mots. Je me souviens très bien des sentiments qui furent les miens en 1986. Comme dans tout film, je me suis identifié au héros. Et dans ce film, le héros, c’était la vive et jolie Ripley (Sigourney Weaver). Très vite, en effet, elle paraît être de loin la plus intelligente des sept passagers terrestres, et c’est là tout ce qu’on lui demande.
Voilà donc un film qui, il y a 44 ans déjà, mettait en valeur une héroïne dans des conditions plus que martiales, éprouvantes, dantesques. Elle est la seule à survivre, ou presque. Un chat l’accompagne au seuil du générique de fin, qui représente selon moi la supériorité de l’instinct animal dans une telle situation. Parmi ses six compagnons, on dénombre deux techniciens très terre à terre (pour être poli), un leader un poil dépassé, un naïf chétif (première victime de l’alien), une autre femme, souvent hystérique, et… un robot sans états d’âme, par définition. Le choix est vite fait et ne conditionne aucun scrupule machiste.
Nous étions alors bien loin des films néo-féministes pour attardés mentaux que produisent, entre autres, aujourd’hui Disney et Netflix. Mais au-delà de cette petite réflexion arc-boutée à l’année 1986, une autre plus ambitieuse m’apparaît clairement aujourd’hui quant au film, avec le recul intellectuel et culturel dont je dispose 37 ans plus tard.
Quelle est donc la genèse de la série Alien ? [spoil] L’ordinateur de bord d’un vaisseau spatial sort l’équipage de son hibernation car, en plein voyage interstellaire, il a perçu une forme de vie extraterrestre. L’équipage en question débarque sur la planète découverte, pousse la curiosité jusqu’à pénétrer dans des lieux qui ne lui étaient certainement pas destinés, et, de là, subit en retour une attaque biologique et physique jusque dans son propre vaisseau. J’y ai vu là une analogie criante avec toutes les colonisations qui, au motif d’exotisme (et d’une quête de nouvelles ressources, accessoirement), violent des cultures étrangères et se trouvent prises au dépourvu lorsque s’inversent la curiosité… et la prédation.
Dans le vaisseau, Ripley est la seule à s’opposer à ce que l’alien soit introduit à l’intérieur, fût-ce pour aider l’un de ses collègues. Tous les autres, à commencer par la seconde femme, lui reprochent vertement son « manque d’humanité », en particulier au regard de celui de leur camarade auquel s’est comme soudé l’alien. Ce manque d’humanité ne l’empêchera pourtant pas d’être la seule survivante. Et parmi l’équipage, le robot sera le plus enclin à favoriser l’exotisme en épargnant coûte que coûte l’alien, au péril de la communauté. Toute ressemblance avec des excités contemporains n’étant sûrement que fortuite…
Ce film a été réalisé par l’immense Ridley Scott. La suite, de James Cameron, annonce déjà d’autres fantasmes et les travers de notre époque, avec des femmes au sang chaud, bodybuildées, qui jurent comme des charretiers (cf. Terminator). Quant à moi, dès 1986, mon empathie s’est toutefois interrompue à dix minutes de la fin, lorsque Ripley se glisse en slip dans son scaphandre avant de se débarrasser subrepticement et définitivement de la bête. Sexy, vulnérable et courageuse. Premiers émois, commandés cette fois par mon altérité !