Les urnes ont parlé, le peuple grec s’est exprimé et la copie de l’Union européenne a été retoquée. Par procuration, c’est l’Europe entière qui s’est sentie concernée par ce dossier. À titre personnel, je tiens la victoire du « NON » pour une bonne nouvelle, mais il y a de grandes chances pour que cela reste un non-événement, un grain de sable dans l’engrenage. Voilà rapidement pourquoi.
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Plus ça va, plus la dichotomie gauche-droite est obsolète. La grille de lecture qui s’est substituée à elle oppose désormais deux visions du monde, cohérentes l’une comme l’autre. Hors de cette alternative, il n’y a guère de place que pour la naïveté. D’un côté, une globalisation mondiale qui se fonde sur les propriétés pacifiantes du libre marché, de l’autre un ancrage local des identités. D’un côté, l’exaltation de l’individu délié, nomade, producteur-consommateur, de l’autre celle de la communauté autochtone, soucieuse par-dessus tout de souveraineté. D’un côté, l’avoir qui sous-tend l’être, de l’autre l’être qui sous-tend l’avoir. Retenons ceci : liquéfaction économique pour les uns, solidification politique pour les autres.
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Pour ce qui est de nos dirigeants, la balance penche lourdement d’un côté. En réalité, tout, absolument tout le personnel politique mis en capacité d’accéder un jour au pouvoir par l’ascendant d’un parti est acquis à la liquéfaction. Tout parti ayant la prétention de se hisser si haut en faisant fond sur la solidification est fatalement « populiste », extrémiste, et réactionnaire au sens où il s’oppose à l’évolution spontanée de l’ordre mondial. SYRIZA en Grèce, le FN en France sont de ceux-là. Ce sont, certes, des partis brouillons, n’ayant d’autre choix que de faire avec les moyens du bord, mais ils bénéficient d’une audience et d’une confiance de plus en plus soutenues. En face, à mesure que les agents de la globalisation refusent d’entendre la grogne, l’Union européenne – l’instrument continental de la liquéfaction – est décrédibilisée.
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On se félicite alors que, quelque part en Europe, un référendum à l’abri des partis ait pu se tenir au sujet de l’Union européenne, même si l’avenir même de celle-ci n’était pas directement en question. C’est toutefois une bien maigre consolation puisque, sitôt les résultats connus, alors qu’on attendait enfin une rupture, on nous annonçait que de sempiternelles négociations allaient reprendre et que la faillite grecque – celle dont on nous rebat les oreilles depuis déjà plusieurs années – était imminente. Il semblerait qu’il y ait beaucoup de théâtre dans tout ça, d’un côté comme de l’autre.
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Alors qu’ils pensent avoir voté contre l’austérité, les Grecs se sont surtout exprimés en faveur d’une austérité souveraine, ce qui est déjà énorme : c’est-à-dire se mettre au régime de soi-même au lieu de se le voir imposer par un club d’obèses invétérés. En face, sous couvert de mansuétude, l’Eurogroupe peut difficilement cacher qu’il compte sur toutes les forces vives de son pré carré pour pérenniser production, consommation, et donc liquéfaction.
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De quoi le référendum grec est-il le « NON » ? D’une aliénation marchande à crédit, plébiscitée durant des décennies, qui aujourd’hui s’essouffle et devient l’occasion d’une réflexion sur l’être. Quant aux inconditionnels de l’avoir, comme je l’explique dans Le Miroir des peuples, au moins assument-ils la définition contemporaine de la démocratie : non pas donner le pouvoir aux peuples, mais faire leur bonheur. Malgré eux.