Civil War, vide notoire
La bande annonce laissait augurer quelque chose d’impressionnant, d’intelligent, de courageux. On pouvait s’attendre à un film prémonitoire, de ceux à verser dans le flot des analyses politiques propres à décrire notre époque troublée, à aiguiller des spectateurs déboussolés, à susciter l’intérêt de populations de plus en plus désabusées. La déception est à l’avenant. Si vous pensiez la même chose, si vous vous attendiez à de belles pistes de réflexion, circulez, y’a rien à voir ! Hollywood tapine.
À titre personnel, j’ai deux grandes passions : la politique en tant que science de l’équilibre humain, et le cinéma comme projection et partage de la pensée. Bien entendu, lorsque l’une et l’autre se rencontrent, je suis toujours au rendez-vous, et c’est bien moins rare qu’on ne le pense. Ce qui est plus rare, c’est que le cinéma parvienne à se hisser à la hauteur de son objet. Acteurs, réalisateurs, producteurs, tous sont bien souvent les champions des leçons de morale. Tirant volontiers à boulets rouges sur les politiciens étrangers au camp du Bien, certains se font même géopoliticiens d’opérette ou écolos de surface, mettant leur nom au service de causes qui, intellectuellement, les dépassent. Mais lorsqu’il s’agit de donner à un film la consistance politique de saines lectures, ou d’offrir à notre médiocrité quotidienne un miroir honnête, les « artistocrates » ne se bousculent pas.
Civil War me donnait bon espoir. J’espérais y trouver une introspection sociale, une méditation sur les impasses politiques des pays occidentaux, tous alignés sur l’art US du conformisme et de la pantalonnade. Manqué ! D’emblée, on comprend qu’il ne s’agit pas de trop réfléchir. À aucun moment on n’apprend les raisons de la guerre civile qui se déploie sous nos yeux. La solution de facilité prévaut. On comprend clairement que le président au pouvoir est devenu illégitime aux yeux de la plupart de ses concitoyens, mais si cette raison suffisait, nous serions nous-mêmes, Français, en pleine civil war à l’heure actuelle. Donc, quoi ? Les Américains seraient plus enclins que nous au courage politique et à la révolte ? Ce n’est pas ce que laissent supposer les différents protagonistes du film, tantôt abrutis par la violence ou l’appât du scoop, tantôt reclus dans un mode de survie individualiste. Tout au plus déduit-on de quelques indices qu’il y a quand même des « méchants », et que la prochaine élection américaine pourrait provoquer un président « grave », tyrannique et xénophobe, contraire aux valeurs hollywoodiennes du moment. Jamais il n’est question d’emprise géopolitique extérieure, pas plus que de réels conflits idéologiques internes, encore moins du possible effondrement de tout un système économique devenu obèse, à l’image de ses agents.
À ce stade, j’avoue avoir eu envie de quitter la salle. Je me suis alors rabattu sur ce que je pensais être le véritable mobile du film, à savoir un énième prétexte à la psychologisation de chacun des personnages. Encore loupé ! Très vite, en effet, on se rend compte qu’ils sont tous creux, qu’il n’y a pas moyen de s’identifier à tel ou telle, et qu’on se fiche complètement de leurs états d’âme. Les deux principales héroïnes nous mènent sur une fausse pose lorsque l’une (photojournaliste novice) demande à l’autre (photojournaliste experte) de lui raconter sa vie, ce à quoi la seconde répond à la première d’aller consulter sa page Wikipédia. Pourquoi s’embarrasser de tout ceci, puisque la plupart d’entre eux ne survivront pas ? Le seul apport intéressant survient dans le dernier quart d’heure, mais il n’est vraiment pas flatteur pour la déontologie du monde journalistique qui, curieusement, en France du moins, a louangé le film d’Alex Garland.
Ne souhaitant pas pour autant faire de cet article un champ de batailles et de destruction intégrale, j’ajouterais simplement que le seul, l’unique point justifiant une place au cinéma concerne, non pas les effets visuels (contrairement à ce que j’ai pu lire) – dont nous sommes rendus blasés par l’accumulation de blockbusters aussi vides de fond que boursouflés sur la forme – mais les effets sonores. Le bruit des balles durant les scènes de fusillades, orchestrées à la manière de scènes horrifiques, nous fait en effet bondir régulièrement. Dans ce registre, néanmoins, Il faut sauver le soldat Ryan faisait déjà bien mieux dès 1998. J’ai vu à cette occasion des spectateurs baisser littéralement la tête pour éviter toute balle perdue. Décidément, vous l’aurez compris, je ne me joins pas à la quasi-unanimité d’éloges ayant accompagnés la sortie de ce film sur nos écrans. Vivement du mieux ! Espérons notamment que Francis Ford Coppola, qui dispose quant à lui d’une solide culture historique et politique, ne nous déçoive pas dans quelques mois…
Éric Guéguen, le 14 mai 2024