Information et Confortation

Le 11 septembre 2001, en début d’après-midi, heure française, deux avions rentraient à tour de rôle comme dans du beurre dans les tours jumelles du World Trade Center à New York. Comme la plupart des Français, j’étais sur mon lieu de travail ce mardi-là, au moment des faits. Et comme la plupart des Français, je n’ai appris l’événement qu’en fin de journée, une fois rentré à la maison. Sur le quai de la gare, en attendant le train qui me ramenait chaque soir de Renault à Meudon, j’avais bien entendu deux personnes discuter d’un hypothétique drame concernant un accident d’avion à New York, mais tout ceci n’avait pas occasionné de discussion particulière une fois montés dans le train. L’information ne m’est parvenue qu’environ quatre heures plus tard. Aujourd’hui, en quatre heures, il se passe bien des choses.

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Vingt-trois ans plus tard, m’apprêtant à effectuer une recherche Google sur mon smartphone, le fameux moteur de recherche me propose en parallèle des informations toutes aussi futiles et farfelues les unes que les autres. Combien de fois me suis-je d’ailleurs fait avoir en cliquant, en le regrettant amèrement et en oubliant quel était l’objet initial de ma recherche ? Aujourd’hui, nous croulons sous l’« information », la vraie, la fausse, l’essentielle, la grotesque, la fraîche ou la réchauffée. Tout est bon pour appâter le chaland, lui faire mordre à l’hameçon, le retenir en eaux fécondes. Dès lors, les médias de toutes obédiences ont beau s’en défendre, la distinction entre information et message publicitaire a disparu. On aura beau jeu de pointer du doigt tel média non indépendant financièrement ou idéologiquement, tous sont à blâmer, tous savent qu’il s’agit pour eux d’une question de survie. J’entends déjà « oui, mais quand même… », eh bien non. Il n’y a pas d’exception. Tout ce qui a du succès finit par racoler, d’une façon ou d’une autre, et il n’y a même pas à s’en offusquer.

Étymologiquement, délivrer une information consiste à donner une forme à quelqu’un, le remplir de quelque chose, d’un savoir, d’une connaissance objective le rendant à même de prendre consistance, cohérence, indépendance, d’adopter un certain maintien. Mais lorsque l’on souhaite façonner les individus à sa convenance, peut-on encore parler d’information ? Bien sûr, à chacun de demeurer sur ses gardes, de faire le tri dans les centaines de messages qui parviennent chaque jour à notre cerveau, de n’y laisser entrer que du vrai, du pur, de l’honnête. À moins de s’être mis en quête de divertissement, et dans ce cas, avec le recul nécessaire, on reste capable de discernement. On peut bien ménager une place pour l’agrément dans un monde qui, sans cela, nous rendrait fou tellement l’« information » devient de plus en plus dramatique et tellement les mauvaises nouvelles se vendent mieux que les bonnes.

Cependant, depuis que le web s’est généralisé, depuis que nous en disposons 24 heures sur 24 grâce à nos smartphones connectés, depuis que la foire aux vanités des réseaux sociaux nous y maintient par des notifications savamment envoyées, nous sommes submergés de données auxquelles il serait vain de donner à toutes le nom d’informations à proprement parler. Qui plus est, l’instantanéité et la célérité de ces données accentuent encore leur profusion, autant que notre difficulté d’y faire face en prenant le recul nécessaire. Dans un environnement sans cesse fluctuant et violent, à une époque sans repères, il est alors doux de se savoir attendu dans un refuge, un endroit propre et sain… en d’autres termes, un média quotidien qui pense comme nous. De là à imaginer que la plupart de nos concitoyens sont du même bord, il n’y a qu’un pas. Ce qui est alors recherché n’a plus rien à voir avec de l’information au vrai sens du terme, il s’agit ni plus ni moins de confortation. Nous demandons alors à être confortés dans nos convictions, que rien ni personne ne saurait bouleverser. Quand on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, c’est bien connu, on a bien raison de penser ce qu’on pense.

Éric Guéguen, le 4 mai 2024