Social Justice Warriors,
nos super-héros du quotidien
La pierre angulaire de l’Occident moderne est l’individualisme anthropologique. Tout progrès social est censé pouvoir bénéficier à terme à n’importe quel individu en soi, quels que soient son patrimoine génétique (sexe, orientation sexuelle, origine ethnique) et ses choix culturels (politiques, religieux, alimentaires ou autres). Malgré tous leurs vices et leurs défauts, les sociétés occidentales sont les plus multiculturelles et les plus égalitaires, donc les plus inclusives au monde.
Or, le progrès inclus dans l’atomisation sociale ne semble pas avoir tenu toutes ses promesses. Un certain nombre d’inégalités résiduelles sont palpables, non plus de manière individuelle, mais sous un angle communautaire. La domination sociale semble en conséquence s’opérer à un échelon supérieur, d’où la suspicion d’une domination de type systémique. À partir du moment où la domination est systémique, l’État est lui-même mis en cause. Si l’État, garant de la justice, n’inspire plus confiance, la justice devient elle-même suspecte d’entretenir les inégalités résiduelles.
Dès lors, certains s’efforceront de promouvoir une autre sorte de justice, une sur-justice en quelque sorte, devenant ainsi les champions de la fameuse justice sociale : à discrimination, discrimination et demie, ou discrimination « positive ». Femmes, populations immigrées, minorités religieuses ou sexuelles, handicapés, jeunes ou vieux, chaque communauté pouvant être victimisée est ainsi appelée à bénéficier de l’action militante et généreuse de ces justiciers contemporains, ces Social Justice Warriors mus pour certains par une vertu ostentatoire, la satisfaction d’œuvrer pour le Bien et de le faire savoir.
Par contraste, la majorité incriminée (qui d’ailleurs n’en est plus une par retranchements successifs), celle figurant la domination systémique à l’œuvre, est le dénominateur cumulatif et commun à toutes les victimes, à savoir l’homme dans la force de l’âge, blanc, hétérosexuel et préférentiellement catholique s’il doit être affublé d’une religion. Celui-là est censé avoir obtenu plus que sa part durant des siècles. À ce titre, il devient bourreau attitré, trop longtemps surmédiatisé et appelé à s’effacer.
La tendance est alors de prendre le contre-pied de ce qui est perçu comme un accaparement historique de l’attention et des honneurs en recourant à des quotas communautaires et à un retournement discriminatoire en faveur des victimes désignées. Cette idéologie, au sens d’un ensemble plus ou moins cohérent de doctrines et de croyances propres à notre époque, trouve de plus en plus de relais institutionnels et juridiques, raison pour laquelle, probablement, certains sont tentés, par contrecoup, de la voir à l’œuvre partout et tout le temps sous le vocable « woke ».
Toute ressemblance avec des faits et des personnages fictifs portés à l’écran par certains studios hollywoodiens bien connus ne serait pas, bien sûr, le fruit d’une pure coïncidence.